vendredi 7 août 2020

Le jour où la machine s’arrêta - Chapitre VI : La découverte

Pour vous accompagner durant tout l'été, le Gramophone Beuglant vous propose de lire une nouvelle de Gustave Boileau : "Le jour où la machine s'arrêta". Bonne lecture et à la semaine prochaine pour la suite !






Chapitre VI : La découverte

Lorsqu’il dormait, il a fait un rêve. Il s'est revu, petit garçon, parcourir les allées d'une boutique de jouets. Il se rappelle que son rêve d'alors était de se faire enfermer dans un grand magasin et de passer la nuit dans le rayon des jouets afin de pouvoir jouer avec tous ceux présents. Il se dit alors que la situation n'est, en fait, guère différente. Il est seul dans un monde où personne ne l'observe, personne ne le surveille et où il peut absolument tout faire sous réserve bien sûr que les éléments le laissent faire...

Il essaye de se souvenir de tout ce qu'il a toujours voulu faire et qu'il n'a jamais pu faire par manque d'argent, par manque d'audace ou bien parce que la morale le réprouvait.

De nombreuses idées lui traversent l’esprit. Il se dit que s’il a pu ainsi pénétrer chez lui et voir sa femme en train de se vêtir, il peut de la même manière pénétrer chez ses semblables pour les espionner et ainsi percer leurs petits secrets. Que se passe-t-il derrière les volets toujours clos de la maison du bout de la rue ? A quel stade en sont les expérimentations de l’un de ses confrères, l’intrigant professeur Manivet sur l’amélioration de l’être humain ? L’idée de pénétrer en toute impunité l’intimité de ses contemporains lui redonne du baume au cœur et lui procure même une certaine excitation.

Il est fatiguée de sa journée et il décide de rentrer de rentrer à son domicile pour manger et se reposer. Quitte à prendre du repos, autant que cela soit chez moi se dit-il !

A son réveil, il se décide à rendre une petite visite à son confrère le professeur Manivet. Après avoir recherché son adresse dans une publication sur ses supposées avancées en matière d’automates humains, il se met en route. Son laboratoire d’étude n’est pas à côté et il lui faut ce qu’il imagine être plusieurs heures pour arriver sur place.

Sur le boulevard, l’immeuble abritant le laboratoire est de style Haussmannien. Après avoir vérifié la présence de la plaque en cuivre indiquant « Professeur Manivet» il  tente d’ouvrir la porte principale. Par chance elle est ouverte. Il s’en félicite car les fenêtres sur rue sont à une hauteur importante et il ne se sentait pas capable de gravir à la façade à mains nues. Elle ouvre sur un passage pour les calèches. A gauche se trouvent quelques marches aboutissant à une porte vitrée, elle aussi ouverte. C’est mon jour de chance, se dit-il. Il pénètre dans le bâtiment à la recherche de la pièce ou des locaux dans lesquels le professeur Manivet mène ses expériences.

Après avoir déambulé dans l’immeuble, parcouru les étages et ouvert de nombreuses portes donnant sur des bureaux ou des bibliothèques, pas de trace d’un laboratoire et encore moins du professeur Manivet. Il commence à envisager le fait que ce n’est pas à cette adresse qu’il trouvera ce qu’il est venu chercher. Dépité, il ressort sous le porche et, avant de quitter les lieux, décide de faire quelques pas dans le jardin. Au fond du jardin, un modeste bâtiment en rez-de-chaussée à mi-chemin entre le bûcher et la serre lui redonne espoir. Il hâte son pas. A travers les vitres, il distingue de nombreux assemblages de tiges métalliques, rouages, ressorts, clés, etc. Il a trouvé l’atelier où le professeur Manivet doit fabriquer ses drôles de machines.

Il se souvient alors avoir été impressionné, quelques années auparavant, par une attraction du cirque Barnum lors de sa tournée en Europe. Il s’agissait de la tête mécanique de Joseph Faber. En reproduisant le plan des organes humains du discours, les différentes parties étant assurées par des cordes et des leviers au lieu des tendons et des muscles, Joseph Faber avait réussi à recréer une tête parlante.

Il se murmurait dans le petit monde des scientifiques que le professeur Manivet était sur le point d’achever, non pas une tête ou une partie du corps, mais un automate humain complet, capable d’obéir à l’homme.

N’y tenant plus, Georges Brétavia brise une des vitres du local et pénétre à l’intérieur. Il y trouve un arsenal de diverses machines à l’apparence sophistiquée. Il reconnait au passage quelques automates de la maison Roullet-Descamps. A diverses échelles, certains ont une apparence humaine, mais point d’automate humain grandeur nature. On prêtait peut-être trop au professeur Manivet ou bien ses recherches n’étaient-elles pas si avancées qu’il se murmurait en ville. Au fond de la pièce, un petit bureau supporte divers ouvrages et de nombreux plans.

Au mur est épinglée une photo d’un homme assis dans une voiture hippomobile tirée par un homme en costume blanc. Une légende figurait en dessous : M. Louis Philip Perew et l’homme-traine-voiture. Il prend la photo, roule la pile de plans posés sur le bureau qu’il met aussi dans son cartable. Après avoir parcouru une dernière fois l’atelier, il prend le chemin du retour. Il est un peu déçu. Il s’attendait à trouver un laboratoire semblable à celui du roman « Frankenstein ou le Prométhée moderne » qu’il avait tant aimé, et il quitte l’atelier d’un horloger.
Traversant le jardin en sens inverse, les images de l’atelier repassent dans sa tête lorsqu’une le fait s’arrêter net. Au fond de l’atelier il y a un palan métallique fixé au plafond. A quoi peut servir ce palan dans un atelier de mécanique de précision ? Il fait demi-tour, entre dans l’atelier par la vitre cassée et se rend sous le palan. Le sol est jonché de caisses vides. Il les déplace rapidement et met ainsi en évidence une trappe de grande dimension dans le sol. A l’aide de l’anneau métallique fixée à celle-ci il la soulève prestement malgré son poids. Une échelle de meunier permet d’accéder au sous-sol. Fort heureusement, celui-ci est éclairé. De dos il voit un homme en redingote penché sur une table de travail. Il en fait le tour et reconnait le professeur Manivet. A cet instant, sa vue s’arrête net sur la construction qui se trouve devant lui. Un automate à forme humaine d’au moins deux mètres de haut est enchâssé dans une structure en bois le supportant.

Les rumeurs ne mentaient pas. Le professeur Manivet assemble un automate humain à taille réelle ! Pour le moment il ne ressemble pas encore réellement à un être humain et n’est qu’un assemblage de rouages, de bielles et de ressorts. Mais en l’habillant et en lui faisant porter un masque sur le visage, l’illusion pourrait fonctionner. Le moindre centimètre carré du volume intérieur de l’automate est occupé par de complexes mécanismes. Il ne s’agit donc pas d’un automate habité par un conducteur qui en piloterait les gestes mais d’une machine autonome. Elle est d’ailleurs raccordée à plusieurs piles à colonne Volta, elles-mêmes reliées à des bouteilles de Leyde et divers autres appareils électriques inconnus de lui.

Mille questions assaillent son esprit : l’automate est-il réellement autonome comme il se plait à l’imaginer ? Comment le contrôle-t-on ? Quelles sont les intentions du professeur Manivet en  le fabriquant ? Comment l’automate appréhende-t-il son environnement ? Grâce au nouveau procédé de capture des images en mouvement des Frères Lumières ? Autant de questions auxquelles il n’a malheureusement pas de réponse ! Cette découverte lui fait prendre conscience de la petitesse de ses propres réalisations, même si sa main mécanique qui a eu un petit succès à la dernière exposition universelle lui procure une certaine fierté. Mais il n’en est pas encore à envisager la construction d’un automate humain. C’est peut-être ce manque d’ambition qui avait poussé le professeur Manivet à refuser l’offre de collaboration à ses recherches de Georges Brétavia.

La découverte qu’il vient de faire le fascine autant qu’elle lui procure une certaine amertume.


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