Pour vous accompagner durant tout l'été, le Gramophone Beuglant vous propose de lire une nouvelle de Gustave Boileau : "Le jour où la machine s'arrêta". Bonne lecture et à la semaine prochaine pour la suite !
Chapitre VII : Le basculement
Après cette découverte, il décide de revenir sur ses pas et de rentrer à son domicile. En passant devant le parvis de la gare, il ne peut s’empêcher de regarder la pendule qui indique toujours quinze heures vingt-huit. Mais soudain son regard est attiré par un détail troublant. Lorsqu’il était venu la précédente fois sur le parvis, il se souvient que des enfants jouaient au cerceau. Ils sont toujours là, tout aussi immobiles. Mais alors que le cerceau était à l’époque en train de chuter, il constate qu’il a bougé et qu’il touche presque le sol.
Une idée folle lui traverse alors l’esprit : il vit dans un monde qui bouge très lentement ! Son esprit cartésien ne fait qu’un tour. Il sort un crayon de son cartable et fait des marques sur tous les objets qui peuvent être en mouvement : le pied d’un passant qui semble pressé, la roue du vélo d’un cycliste, les pattes d’un chien, la hauteur de la boisson que l’on est en train de servir dans un verre au buffet de la gare, etc.
Chacune de ces marques est soigneusement reportée dans un carnet. Si tout ou partie des objets marqués évoluent, ce sera la démonstration que le monde bouge, mais à une vitesse différente de lui.
Au bout de quelques jours de son temps à lui, passés à surveiller ses expériences, il constate ce qu’il pressentait ou craignait : les objets ont bougé ! Le rayon de la roue de vélo qui était horizontal ne l’est plus, la chaussure du passant pressé s’est légèrement soulevée et le niveau de la boisson dans le verre servi au buffet de la gare a monté. Il est donc seul au milieu d’un monde qui tourne infiniment plus lentement que lui.
Il est à la fois excité d’avoir élucidé un des mystères du monde dans lequel il se trouve, mais désespéré de ne pas savoir comment s’en extraire.
Il a en effet mis à profit les nombreux jours passés à surveiller le déplacement des objets pour tenter, mais en vain, de trouver la manière de s’échapper de cet univers. Il a bien imaginé suivre le même procédé que celui qui l’a conduit dans cette situation. Mais il fait un temps magnifique, et il sera vraisemblablement mort de vieillesse avant que la météo ne change dans ce monde au ralenti et qu’un nouvel orage et un éclair ne s’abattent à nouveau sur lui pour le ramener dans son monde.
Il pense alors à écrire une lettre décrivant ce qui lui arrive et à la mettre en évidence devant le regard d’un éminent scientifique travaillant sur le temps. Mais le temps qu’il la lise – dans l’hypothèse où il ne la prendrait pas pour un canular – et qu’il entame d’hypothétiques recherches pour venir à son secours, il sera décédé depuis fort longtemps. Pour les mêmes conditions de délais, il n’est pas non plus envisageable d’entamer une conversation par lettre interposée. C’est un peu comme communiquer à l’aide de bouteilles jetées à la mer.
Il ne voit donc aucune issue possible sauf à rester coincé dans ce monde parallèle jusqu’à la fin de ces jours. Il se sent comme un éphémère dont la vie ne dure qu’une journée, sa vie risquant fort de ne durer qu’une journée du monde au ralenti.
Il regagne le salon, ferme les volets, tire les épais rideaux, s’allonge sur la méridienne et tente de se reposer. Bien qu’enfermé dans le salon, volets fermés et rideaux tirés – il fait en permanence jour comme l’été dans le cercle arctique – il a beaucoup de mal à dormir, ne cessant de se remémorer les derniers évènements qu’il vient de vivre.
Lui qui avait toujours eu une haute opinion de son travail vient de découvrir qu’il n’est pas en pointe dans son domaine et que certains de ses confrères sont beaucoup plus avancés que lui en matière d’amélioration de l’homme et d’automate.
Lui qui chérit tant son épouse et son fils, qu’il n’hésite pas à comparer – déformation professionnelle oblige – à deux jambes, ses deux amours lui permettant d’avancer dans la vie, vient d’être soudainement amputé !
Bien qu’entouré du monde qu’il connait et dont il est l’un des éléments, il est désormais seul, sans possibilité de communiquer avec autrui. Il est abattu et désespéré.
A cours d’idées pour échapper au monde figé qui l’entoure, il ne souhaite plus lutter et envisage désormais d’en finir. Mais là encore, toutes les solutions classiques auxquelles il pense ne fonctionnent pas dans ce monde.
Impossible de se suicider par arme à feu. Le projectile mettrait trop de temps à traverser son corps. Considérant la consistance de l’eau, il n’est pas sûr que la noyade soit un moyen plus efficace. Il pourrait s’allonger sur les rails devant les essieux d’un train. Mais vu la vitesse du train il devrait attendre de longues heures dans d’atroces souffrances pour que les roues du train lui passent sur la totalité du corps. Reste la chute depuis un point haut, mais s’il ne meurt pas sur le coup, il risque de souffrir et il est assez douillet.
Après cette découverte, il décide de revenir sur ses pas et de rentrer à son domicile. En passant devant le parvis de la gare, il ne peut s’empêcher de regarder la pendule qui indique toujours quinze heures vingt-huit. Mais soudain son regard est attiré par un détail troublant. Lorsqu’il était venu la précédente fois sur le parvis, il se souvient que des enfants jouaient au cerceau. Ils sont toujours là, tout aussi immobiles. Mais alors que le cerceau était à l’époque en train de chuter, il constate qu’il a bougé et qu’il touche presque le sol.
Une idée folle lui traverse alors l’esprit : il vit dans un monde qui bouge très lentement ! Son esprit cartésien ne fait qu’un tour. Il sort un crayon de son cartable et fait des marques sur tous les objets qui peuvent être en mouvement : le pied d’un passant qui semble pressé, la roue du vélo d’un cycliste, les pattes d’un chien, la hauteur de la boisson que l’on est en train de servir dans un verre au buffet de la gare, etc.
Chacune de ces marques est soigneusement reportée dans un carnet. Si tout ou partie des objets marqués évoluent, ce sera la démonstration que le monde bouge, mais à une vitesse différente de lui.
Au bout de quelques jours de son temps à lui, passés à surveiller ses expériences, il constate ce qu’il pressentait ou craignait : les objets ont bougé ! Le rayon de la roue de vélo qui était horizontal ne l’est plus, la chaussure du passant pressé s’est légèrement soulevée et le niveau de la boisson dans le verre servi au buffet de la gare a monté. Il est donc seul au milieu d’un monde qui tourne infiniment plus lentement que lui.
Il est à la fois excité d’avoir élucidé un des mystères du monde dans lequel il se trouve, mais désespéré de ne pas savoir comment s’en extraire.
Il a en effet mis à profit les nombreux jours passés à surveiller le déplacement des objets pour tenter, mais en vain, de trouver la manière de s’échapper de cet univers. Il a bien imaginé suivre le même procédé que celui qui l’a conduit dans cette situation. Mais il fait un temps magnifique, et il sera vraisemblablement mort de vieillesse avant que la météo ne change dans ce monde au ralenti et qu’un nouvel orage et un éclair ne s’abattent à nouveau sur lui pour le ramener dans son monde.
Il pense alors à écrire une lettre décrivant ce qui lui arrive et à la mettre en évidence devant le regard d’un éminent scientifique travaillant sur le temps. Mais le temps qu’il la lise – dans l’hypothèse où il ne la prendrait pas pour un canular – et qu’il entame d’hypothétiques recherches pour venir à son secours, il sera décédé depuis fort longtemps. Pour les mêmes conditions de délais, il n’est pas non plus envisageable d’entamer une conversation par lettre interposée. C’est un peu comme communiquer à l’aide de bouteilles jetées à la mer.
Il ne voit donc aucune issue possible sauf à rester coincé dans ce monde parallèle jusqu’à la fin de ces jours. Il se sent comme un éphémère dont la vie ne dure qu’une journée, sa vie risquant fort de ne durer qu’une journée du monde au ralenti.
Il regagne le salon, ferme les volets, tire les épais rideaux, s’allonge sur la méridienne et tente de se reposer. Bien qu’enfermé dans le salon, volets fermés et rideaux tirés – il fait en permanence jour comme l’été dans le cercle arctique – il a beaucoup de mal à dormir, ne cessant de se remémorer les derniers évènements qu’il vient de vivre.
Lui qui avait toujours eu une haute opinion de son travail vient de découvrir qu’il n’est pas en pointe dans son domaine et que certains de ses confrères sont beaucoup plus avancés que lui en matière d’amélioration de l’homme et d’automate.
Lui qui chérit tant son épouse et son fils, qu’il n’hésite pas à comparer – déformation professionnelle oblige – à deux jambes, ses deux amours lui permettant d’avancer dans la vie, vient d’être soudainement amputé !
Bien qu’entouré du monde qu’il connait et dont il est l’un des éléments, il est désormais seul, sans possibilité de communiquer avec autrui. Il est abattu et désespéré.
A cours d’idées pour échapper au monde figé qui l’entoure, il ne souhaite plus lutter et envisage désormais d’en finir. Mais là encore, toutes les solutions classiques auxquelles il pense ne fonctionnent pas dans ce monde.
Impossible de se suicider par arme à feu. Le projectile mettrait trop de temps à traverser son corps. Considérant la consistance de l’eau, il n’est pas sûr que la noyade soit un moyen plus efficace. Il pourrait s’allonger sur les rails devant les essieux d’un train. Mais vu la vitesse du train il devrait attendre de longues heures dans d’atroces souffrances pour que les roues du train lui passent sur la totalité du corps. Reste la chute depuis un point haut, mais s’il ne meurt pas sur le coup, il risque de souffrir et il est assez douillet.
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