jeudi 16 juillet 2020

Le jour où la machine s’arrêta - Chapitre III : L'arrêt de la machine

Pour vous accompagner durant tout l'été, le Gramophone Beuglant vous propose de lire une nouvelle de Gustave Boileau : "Le jour où la machine s'arrêta". Bonne lecture et à la semaine prochaine pour la suite !





Chapitre III : L'arrêt de la machine

Sans montre, il ne sait pas depuis combien de temps il marche, mais cela lui paraît être depuis des heures. Maintenant qu’il se sait sourd, il marche précautionneusement sur le bas côté de la route afin d’éviter une éventuelle charrette qui pourrait arriver dans son dos et qu’il n’entendrait pas. Mais aucune ne vient le doubler.

Un peu plus loin, au bout d’un champ, il lui semble apercevoir une diligence à l’arrêt. L’espoir de trouver quelqu’un renaît et son pas se fait alors plus alerte. Plus il s’approche et plus il arrive à distinguer la voiture. Il lui semble qu’elle est occupée. Il touche enfin au but.

Cependant, la silhouette qu’il distingue derrière la vitre ne bouge pas. Nous devons être à la mi-journée, se dit-il, peut-être fait-elle la sieste. Il accélère encore le pas. Il aperçoit dorénavant distinctement une personne assise sur le siège passager, la main sur la portière ouverte. Il se met à courir.

Il arrive derrière la voiture. Elle est occupée. Il est sauvé. Le temps d’en faire le tour et le voici face au véhicule. Un homme est bien assis sur le siège passager. Les yeux fermés, il semble dormir. Au diable les convenances, il lui tapote sur la main et lui disant des « Monsieur, s’il vous plait » qu’il n’entend plus. Mais rien n’y fait, la personne ne se réveille pas.

Serait-il mort ? pense-t-il effrayé. Il pose sa main sur la main de cet homme et constate que sa peau est chaude. Mais c’est peut-être dû au soleil. Il lui tape à nouveau sur le bras mais de manière un peu plus énergique. Le passager est toujours immobile. Il s’enhardit à mettre sa main sous la gorge de cet inconnu afin de sentir son cœur battre. Mais il ne sent rien. Affolé d’être en face d’un mort, il tâte à nouveau sans plus de résultat, palpe, avant de se décider à coller son oreille sur sa poitrine. Visiblement il ne respire pas. Il contourne la diligence et constate que le cocher est lui aussi immobile sur son siège.

Georges commence à paniquer. Il n’a jamais été ainsi confronté à la mort. Les seules fois où il a côtoyé des personnes décédées, c’était lors d'obsèques de proches. Mais à chaque fois il était entouré, il y avait les employés des pompes funèbres... Cette fois-ci, il est seul face à ces morts. Mais pourtant le corps de cet homme est chaud. Vient-il de décéder à l’instant ? Il ne sait pas. Il ne sait plus. Son cœur s’emballe, il transpire à grosses gouttes. Dans son esprit défilent les récents événements qu’il vient de vivre : après l’orage, la surdité, le voici en présence d’un mort. Mais qu’est-il en train de vivre ? C’est digne d’un roman. Il lui faut à tout prix chercher de l’aide.

Il s’éloigne du véhicule et cherche à proximité immédiate quelqu’un qui pourrait l’aider. Il se sent atrocement seul. Derrière un bosquet, il lui semble distinguer une silhouette. Il s’approche, contourne le bosquet et découvre un enfant, immobile. Il est figé dans une posture inhabituelle. Georges ne comprend pas la scène. On dirait un personnage de cire comme ceux qu’il a pu lors d’un voyage à Paris au nouveau musée Grévin qui a ouvert ces portes en 1882. Il s’aventure à toucher l’enfant. Sa peau est souple et chaude. Il s’agit d’un véritable être humain. Mais pourquoi ne bouge-t-il pas ? Pourquoi ne respire-t-il pas ?

A cet instant précis, Georges envisage sérieusement avoir basculé dans la folie. Son esprit doit avoir basculé, il est devenu fou… Mais alors comment arrive-t-il encore à raisonner, enfin ce qu’il pense encore être de la raison.

Apeuré, il se recule de cet enfant qui lui fait peur. Il fait quelques pas en arrière et trébuche sur une branche. En tombant sur le dos il aperçoit l’inouï, l’incroyable, l'incompréhensible. Il se trouve nez-à-nez avec un jeune chien à la hauteur de son visage ! Il est devant lui, à un mètre du sol, immobile, suspendu dans les airs. Il imagine que le jeune garçon qu’il vient de croiser a lancé un bâton à son chien qui a fait un bond pour l’attraper. Mais pourquoi cette action s’est figée ?

Sans force, Georges reste un long moment abasourdi, à contempler cette scène. L’idée qui lui avait traversé l’esprit à son réveil d’être confronté à un daguerréotype lui revient. C’est exactement la sensation qu’il éprouve. Il se dit alors qu’il n’est peut-être pas devenu sourd mais que tout simplement, ce monde immobile ne génère aucun bruit.

Mais au lieu de l’affoler encore plus et de le faire définitivement basculer dans la folie, cette vision ravive son sens cartésien. Il se demande comment tout cela est possible, qui est l’auteur de cette gigantesque manipulation et cherche à comprendre.

Il passe alors en revue les idées les plus folles. Peut-être est-il la victime d’une mauvaise farce ? Non, ce n’est pas possible, cela nécessiterait beaucoup trop de moyens, et puis, il est seul sans personne autour de lui. Peut-être est-il la victime d’une expérience scientifique ? Peut-être que ce qu’il voit n’est que le fruit de son imagination ? Aucune des solutions qu’il échafaude ne le satisfait pleinement.

Stupéfait par la scène qui se déroule devant lui, il reste assis par terre à contempler cet enfant et le chien qui se trouvent devant lui. C'est la première fois qu'il voit et vit un tel événement et cela le fascine. Mais rester là ne lui apporte rien et il se décide enfin à bouger.

Afin d’essayer de comprendre ce qui lui arrive et de vérifier ses théories, il décide de reprendre la route en direction de la ville.


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