vendredi 10 juillet 2020

Le jour où la machine s’arrêta - Chapitre II : L'orage

Pour vous accompagner durant tout l'été, le Gramophone Beuglant vous propose de lire une nouvelle de Gustave Boileau : "Le jour où la machine s'arrêta". Bonne lecture et à la semaine prochaine pour la suite !





Chapitre II : L'orage

Lorsqu’il se réveille, le jour s’est enfin levé. L’orage a fait place à un beau soleil. Georges ouvre la portière puis sort du véhicule. Dehors flottent des effluves de terre mouillée, d’humus, de forêt après la pluie. Il s’étire et fait quelques pas sur le chemin. Il est jonché de feuilles, d’épines de pin et de petites branches, autant de preuves de la violence de l’orage du matin.

Le cheval est bien mort et le cocher n’est pas réapparu. Georges récupère son cartable et décide de marcher le long du chemin à la rencontre d’une maison, d’un riverain, d’un paysan… bref d’une âme qui pourrait lui dire où il se trouve et l’accompagner jusqu’au hameau.

Il commence à marcher d’un bon pas. Mais très rapidement il ressent une étrange sensation. Tout semble normal mais quelque chose ne va pas. Georges regarde autour de lui. La forêt est là, comme hier, elle n’a pas changé. Le chemin est là, lui aussi. Le ciel est bleu, le soleil brille, les oiseaux… Mais oui, c’est cela ! Les oiseaux ne chantent pas. Il n’y pas que les oiseaux d’ailleurs. Aucun bruit ne se dégage de la nature. Pas le moindre chant d’oiseau, ni de bruit d’insecte. Le silence total.

Que s’est-il donc passé durant cet orage et durant son sommeil ? Tous les animaux ont-ils été tués par la foudre ? Cela paraît peu probable. Peut-être ont-ils fui l’orage ? Il en resterait quand même quelques-uns, trop faibles pour partir ou blessés.

Pourquoi ce silence ? Georges essaye de regarder autour de lui à la recherche d’un insecte, d’un oiseau, d’un petit mammifère. Il pose son cartable et s’agenouille espérant trouver dans l’herbe quelques coléoptères. Se rappelant que ceux-ci nichent souvent sous les pierres ou sous les vieilles souches il en soulève une et découvre une colonie de fourmis… immobiles !

Il y a donc des animaux mais ils sont morts. Il se relève pour continuer sa quête et s’aperçoit alors que ce n’est pas seulement les animaux qui sont immobiles mais aussi la végétation. Pas une feuille, pas une branche, pas le moindre bout d’herbe qui ne bouge. En fait, rien ne bouge. Hormis lui, tout est parfaitement immobile. Il n’y a d’ailleurs aucun souffle d’air.

Voilà donc la raison du malaise qu’il ressent, tout est parfaitement immobile et silencieux. La première idée qui lui vient à l’esprit est qu’il est à l’intérieur d’un décor de théâtre. Il sort à nouveau sa montre à gousset. Elle est toujours arrêtée. Impossible de savoir si elle a été endommagée par la foudre ou si elle participe, elle aussi, à ce vaste arrêt des éléments. Comme pour se rassurer il saute sur place, gesticule afin de se prouver qu’il est toujours vivant.

La solution ne pourra venir que d’une rencontre avec une autre personne. Il faut donc qu’il rejoigne une zone habitée afin de trouver des habitants qui pourront lui expliquer ce qui s’est passé. Peut-être même que l’on est déjà à sa recherche et que son client, ou plus sûrement sa femme, ont appelé la police pour lui signaler sa disparition.

Il imagine déjà le Petit Journal relatant ce mystérieux orage et sa disparition. Son cerveau s’emballe. Non, il doit rester calme. Il ramasse son cartable et repart en sens inverse du chemin qu’il a parcouru le matin.

Sur le trajet aller, il n’avait rencontré aucune habitation, mais il met cela sur le compte du manque de visibilité et espère croiser prochainement une maison ou une ferme où il trouvera âme qui vive.

Voilà déjà un long moment qu’il marche sans s’arrêter et il n’a encore rencontré personne. La forêt est toujours immobile et silencieuse. Il commence à avoir faim. Il ouvre son cartable espérant y trouver un cachou. Mais il n’a rien emporté. Son cartable est désespérément vide de tout aliment.

Il continue à marcher. Son rythme se fait un peu plus lent et il a chaud. Il est vrai que sa tenue de ville n’est pas la plus appropriée pour la marche en campagne. Mais dans les circonstances actuelles il n’a guère d’autre choix que de continuer.

En regardant au loin, il lui semble enfin apercevoir une maison. Son moral s’améliore en s’imaginant pouvoir y trouver de l’aide. Encore un ou deux kilomètres et il sera sur place.Il s’agit d’une vieille masure en assez mauvais état mais qui semble habitée puisqu’il y a des rideaux aux fenêtres. Il s’avance donc dans la cour et visite successivement la grange puis un abri dont la porte est entrouverte mais il n’y trouve personne. Il se résout donc à faire tinter la vieille cloche accrochée sur la façade à côté de la porte d’entrée. Il tend l’oreille mais n’entend pas de bruit de cloche. Il frappe alors à la porte. Mais à sa grande surprise les coups portés par ses doigts sur le bois n’émettent aucun son. De tels coups doivent émettre ne serait-ce qu’un son sourd, mais là, rien.

C’est alors que Georges se rend compte que depuis qu’il s’est réveillé, étant seul, il n’a pas prononcé le moindre mot. Il comprend que la déflagration de la foudre tombant sur le fiacre l’a rendu sourd. Il se met alors à crier et, en effet, il n’entend aucun son. C’est comme si le monde s’écroulait autour de lui. Il est devenu totalement sourd. En une fraction de seconde il se remémore tout ce qu’il aimait entendre : la voix de sa femme, celle de son fils, un opéra, le doux clapotis de l’eau de la rivière, le feu qui crépite dans la cheminée… Autant de sons qu’il n’aura plus jamais le plaisir d’entendre. Toujours sur le perron de la maison, il tombe à genoux et se met à pleurer. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi, ne cesse-t-il de se répéter.

Lui qui était heureux, passionné de sciences et de découvertes, entouré d’une famille aimante, le voilà dorénavant infirme. Il reste ainsi prostré pendant un long moment, sans bouger, le regard vide à se lamenter sur son sort. Petit à petit il se ressaisit, se dit qu’il est toujours vivant, qu’il va retrouver ceux qu’il aime et que peut-être avec un peu de chance, les récents progrès de la médecine lui permettront de retrouver un peu d’audition. Il a vu, lors de la dernière exposition universelle de merveilleux cornets acoustiques dont, dit-on, certain permettent de recouvrer l’ouïe. Il se relève et cherche à nouveau dans la ferme une personne qui pourrait l’aider. Il tambourine sur la porte mais sans résultat.

En désespoir de cause, il reprend ses affaires, sort de la propriété et reprend le chemin qui doit le ramener en ville. Par moment, il s’imagine vivre un cauchemar et se pince fortement. Le seul résultat est une douleur à l’endroit pincé mais rien d’autre ne change.


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