vendredi 24 juillet 2020

Le jour où la machine s’arrêta - Chapitre IV : La quête

Pour vous accompagner durant tout l'été, le Gramophone Beuglant vous propose de lire une nouvelle de Gustave Boileau : "Le jour où la machine s'arrêta". Bonne lecture et à la semaine prochaine pour la suite !






Chapitre IV: La quête

Sous les chauds rayons du soleil, il reprend la route en quête de personnes qui pourraient l’aider ou bien d’éléments qui viendraient étayer ses hypothèses. Il marche ainsi le long du  chemin tout en scrutant le paysage d’un œil anxieux. En fait, il ne sait plus ce qu’il souhaiterait le plus. Trouver d’autres éléments lui confirmant l’immobilité du monde dans lequel il évolue lui prouverait qu’il n’est pas fou et que sa déduction est juste. Trouver des personnes de chair et d’os, bien vivantes, lui permettrait peut-être d’obtenir des explications sur la scène qu’il vient de traverser ou bien lui confirmerait qu’il a été victime d’une crise de delirium…

La faim commence à se faire sentir. Georges regarde autour de lui mais il ne distingue rien de comestible. Pas d’arbres fruitiers, pas de baies connues, rien. Certains végétaux qu’il croise sont peut-être comestibles mais il ne veut pas ajouter ce risque à la situation qu’il vit.

Au loin se dessine un bouquet d’arbres, une haie et lui semble-t-il, une maison. Malgré la fatigue qu’il commence sérieusement à ressentir, il presse le pas comme pour en finir avec ce cauchemar.

Il n’est plus qu’a quelques dizaines de mètres de la maison. Il s’agit d’une petite ferme qui s’ouvre sur une cour. Il tend l’oreille, mais il n’y a toujours aucun bruit. Il se résout à frapper à la porte. Toujours pas de bruit. Que faire ? Continuer son chemin à la recherche d’une autre maison ? Georges n’en peut plus. Même le gravier sur lequel il marche ne crisse pas. Toujours ce silence envahissant. Il s’attend à se retrouver nez à nez avec un chien, mais il n’en est rien. Il contourne la maison et découvre, médusé, la confirmation de ses hypothèses : un paysan est assis sur un muret en train de déjeuner. Il est immobile, comme pétrifié. Mais cette confirmation qui devrait le terrifier ne le trouble finalement pas énormément tant il a faim.

Il s’empare du morceau de pain qui est posé à côté du paysan et le mange voracement avec les doigts. Sauf que lorsqu'il le mange, sa texture semble différente de celles dont il a l'habitude. Il met cela sur le compte de sa fatigue et des évènements qu'il ne maîtrise plus vraiment. Il accompagne le pain d’un morceau de fromage présent sur les genoux du paysan. La sensation qu'il éprouve en mangeant le fromage est la même que pour le pian. Peu  importe, pense-t-il, l'heure n'est pas à faire un festin mais à se sustenter. Pour parfaire ce frugal repas il décide de boire un verre. Il empoigne alors la gourde, l'approche de sa bouche, incline la gourde mais le liquide ne coule pas ! Pris de stupeur, il secoue machinalement la gourde mais l'eau ne bouge pas. Son seul raisonnement est qu'elle doit être gelée. Il appuie sur la gourde. Son contenant n'est pas gelé mais de consistance visqueuse... Il appuie très fort sur la gourde en cuir et en extrait un morceau  d’eau comme s'il arrachait un morceau de flan et l'ingurgite. Si cela a bien le goût de l'eau cela n'en a, une fois de plus, pas la consistance.

Un peu plus paniqué par cette expérience gustative il décide de ne pas rester plus longtemps en ce lieu, traverse la cour et reprend sa route.

Le soleil est toujours là mais, sans montre, Georges a un peu de mal à se situer dans le temps. Est-ce le matin ? L'après-midi ? Il n'en sait rien. La scène de repas qu'il vient de croiser lui donne à penser que c'est le milieu de la journée. Pourtant il lui semble que cela fait plusieurs heures qu'il marche. Il s'imaginerait volontiers être en fin d'après-midi.

La marche associée au chaud soleil et au malaise intérieur que lui procurent les évènements qu'il vit l'ont beaucoup fatigué. Il commence à avoir sommeil. Il se dit qu'il ne pourra pas marcher encore de longues heures sans se reposer. Il fait grand jour, mais il décide de s'arrêter à la prochaine maison ou au prochain endroit propice à un repos.

Au bout d'un temps qu'il n'arrive plus à quantifier, il arrive en vue de ce qu'il imagine être les faubourgs de la ville. Quelques maisons apparaissent. Il y pénètre à la recherche d'une personne vivante ou bien alors d'un endroit à l'abri où il pourrait dormir. Comme à l'extérieur de la ville, rien ne bouge dans les maisons. Pas un bruit, pas un mouvement, pas un souffle d'air.

Il essaie d'ouvrir le portail de la première maison, mais celui-ci est fermé. Il en est de même des suivants. Mais, au détour d'une petite placette, il découvre une maison dont le portail est grand ouvert. Plusieurs enfants, immobiles, semblent jouer dans le jardin. La porte d'entrée de la maison est, elle aussi, ouverte. Il se risquerait volontiers à entrer afin de trouver un lit confortable ou dormir. Mais la peur (ou l'espoir) que ce monde inanimé se réveille et le surprenne dans un lit où il n'a rien à faire l'empêche d'entrer dans la maison. Il avise alors un banc situé derrière la maison. Il décide de s’y allonger et de dormir.

A son réveil,  il découvre que les enfants qui jouaient dans le jardin y sont toujours, immobiles. Il fait toujours beau, le soleil est toujours haut dans le ciel et il fait chaud. En fait, rien n'a changé.

Il ne sait pas combien de temps il a dormi, mais il est physiquement reposé. En revanche, il a une faim de loup. Il s'enhardit cette fois à pénétrer dans la maison, à la recherche de nourriture. Il n'a pas de mal à trouver la cuisine. Après avoir ouvert plusieurs placards et le garde-manger il s'attable devant un solide petit déjeuner : pain, fromage, fruits et vin. Comme la veille, les aliments ont le goût mais pas la texture habituelle. Tant pis, pense-t-il une nouvelle fois, il lui faut prendre des forces pour continuer sa quête.

Il s'est en effet décidé à aller au centre de la ville voir si ce phénomène y est aussi présent puis à passer chez lui pour prendre quelques affaires.

En entrant dans le couloir de la maison, il a aperçu un sac. Il lui serait bien utile pour prendre quelques provisions de bouche. Il va donc le chercher et le rempli d'un morceau de pain, de pommes et d'une bouteille d'eau. Une fois le sac rempli, il reprend la route.

Plus il arrive près du centre-ville, plus il arrive à se repérer. Il connait maintenant bien les lieux dans lesquels il marche. Il découvre alors une ville morte. Tout ce qu'il connaît est présent : les rues, les gens, les lieux mais comme depuis l'orage, rien ne bouge. Les fiacres sont là, au milieu de la rue, avec leur cocher et parfois leurs passagers. Des hommes et des femmes  sont aussi présents. Certains entrent dans des commerces, d'autre traversent la rue. Au coin d'une autre rue un omnibus, à son arrêt, prend ses passagers.

Il arrive maintenant sur le parvis de la gare. La belle saison apparente fait que de nombreux voyageurs s'y trouvent.
Georges s'approche de la fontaine. Ce qui l'intéresse c'est de toucher l'eau. Celle qui sort des buses est pétrifiée. On dirait de la pâte de fruits. Il plonge la main dans le bassin et en prélève un « morceau ». Un morceau d'eau, comme cette expression est inhabituelle, se dit-il. Alors qu'il est habitué à ce que l'eau comble immédiatement le vide, il peut, là, admirer le trou qu'il a provoqué à la surface du bassin. Connaissant la saleté habituelle du bassin du parvis de la gare, il se garde bien de porter le morceau d'eau à sa bouche. Peut-être que les microbes ne sont pas tous inanimés ! Non loin de lui, des enfants jouent au cerceau.

D'un seul coup, une idée lui traverse l'esprit. Au fronton de la gare se trouve une horloge. Il va enfin savoir qu'elle heure il est. Il lève alors les yeux au-dessus de lui, les protège à l'aide de sa main afin de ne pas être ébloui par les rayons du soleil et découvre l'énorme cadran qui affiche : quinze heures vingt huit. Le monde s'est donc arrêté en début d'après-midi. Mais de quel jour ? Pour le savoir il lui suffit de pénétrer à l'intérieur de la gare et de trouver un vendeur de journaux à la criée, ce qu'il fait immédiatement.
La gare est noire de monde. Georges se faufile entre les voyageurs pour arriver jusqu'au jeune crieur de journaux. Dans ses bras une pile de « Petit Journal ». Il prend le premier, le déplie et contemple sa une. La date est celle du jour mais rien sur la une ou dans les pages intérieures ne fait état de la situation dans laquelle il se trouve.

Georges ressort de la gare et vient s'assoir au bord de la fontaine, pour manger un morceau et faire le point sur sa situation.


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